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Etendard Royal
1 décembre 2012

Hongrie, au-delà des fantasmes

Vilipendé par les commentateurs occidentaux, maintenu en suspicion par les institutions européennes, le gouvernement de Viktor Orbán serait-il sur le point, comme certains l’en accusent, de faire basculer son pays dans la dictature? Décryptage politique sur les rives du Danube…

La nuit s’étend sur Budapest. Dans l’après midi, des centaines de personnes ont afflué vers le centre-ville, le long de l’avenue Andrassy, par petits groupes, dans le froid sec de ce début janvier. Soudain, les forces de sécurité ont bouclé les accès alentours. Aux touristes interloqués, les policiers demandent de rebrousser chemin. Ceux qui souhaitent se rendre en direction de l’Opéra se voient opposer une fin de non-recevoir.

Ce soir-là, en effet, la nation hongroise joue dans l’immense bâtiment néoclassique, l’une de ces pièces dont l’Europe centrale a le secret. A l’intérieur, la classe politique, les membres du gouvernement, les épouses en fourrure, les journalistes en costume. Dehors, sur le pavé, des protestataires, des caméras, quelques représentants de la faible opposition parlementaire, des intellectuels, des députés européens. Entre les deux, une cohorte de policiers à cran, gardant les voitures officielles garées le long de l’édifice, et escortant par vague les invités au grand raout gouvernemental.

Ce soir-là, dans une ambiance électrique, la Hongrie célèbre solennellement la promulgation, la veille, de sa nouvelle Constitution, votée en décembre par le Parlement. Un texte vilipendé dans toute l’Europe et au-delà, en raison des changements introduits dans la loi fondamentale.

Des changements importants. D’abord, au niveau des symboles : le nom officiel du pays n’est plus « République de Hongrie », mais tout simplement « Hongrie » ; de plus, celui-ci est désormais placé sous la protection de Dieu et sous le signe de la couronne de saint Étienne, emblème historique de l’ancien royaume des Magyars conservé au sein du Parlement.

Ensuite, sur le plan éthique, le nouveau texte établit le début de la vie dès la conception, et réserve l’institution du mariage à l’union entre un homme et une femme. L’avortement se voit, ainsi, remis en question, et le mariage homosexuel est, désormais, impossible en droit. Autre évolution, les cultes reconnus et subventionnés par l’Etat sont réduits drastiquement, passant d’environ trois cents à quatorze.

Sur le plan fiscal, il établit un taux unique d’impôt sur le revenu, fixé à 16 %. Sur le plan économique, une mesure prévoit la fin de l’indépendance de la banque centrale. Les trois adjoints du directeur de l’institution et six des neuf membres de son conseil monétaire seront, désormais, choisis par le Parlement.

Celui-ci étant actuellement contrôlé aux deux tiers par le Fidesz – Alliance civique, le parti du Premier ministre Viktor Orbán, ce dernier a donc la haute main sur la politique monétaire du pays. De même, toute une série de postes clés dans l’appareil d’Etat, la justice ou la sécurité, se retrouvent mécaniquement aux mains des amis du chef du gouvernement, et pour longtemps, puisque les lois constitutionnelles adoptées ne pourront être réformées que par une majorité des deux tiers. Faible et divisée, l’opposition n’apparaît pas en mesure d’atteindre cette majorité des deux tiers dans un futur proche.

Ces nouvelles dispositions constitutionnelles sont venues couronner une année de réformes offensives. En janvier 2011, une nouvelle loi sur les médias avait déjà fait grand bruit, notamment en soumettant les journalistes à la tutelle d’un conseil national susceptible de leur infliger des amendes « en cas d’atteinte à l’intérêt public », et de les obliger à révéler leurs sources. Sous la pression de l’Union européenne, cette loi avait été finalement adoucie.

Surtout, au cours de cette même année 2011, la Hongrie avait « renationalisé » son économie, mêlant nationalisations et protectionnisme, provoquant, du même coup, la colère des entreprises étrangères et des banques. Tandis que, dans le même temps, elle adoptait une série de mesures en faveur des minorités magyares vivant en dehors des frontières du pays, et laissées pour compte lors du démantèlement de la grande Hongrie par le traité de Trianon (1920), au lendemain de la Première Guerre mondiale.

En Voïvodine (Serbie), en Transylvanie (Roumanie), au sud de la Slovaquie, en Slovénie et en Transcarpathie (Ukraine), plusieurs millions de personnes parlant le hongrois et séparées de ce qu’une grande majorité d’entre elles considère toujours comme la mère patrie, peuvent ainsi, désormais, demander la nationalité hongroise et un passeport hongrois.

Chargées de symbole, ces mesures étaient réclamées depuis des lustres par les minorités magyares des pays voisins. Eszter Szalkai, jeune avocate d’origine transylvanienne, et installée à Zurich, en a bénéficié. Selon elle, le Fidesz s’est constitué une clientèle électorale certaine pour les prochaines élections : « C’est une décision extrêmement importante, explique-t-elle, et encore plus pour nos parents ou nos grands parents, dont certains sont nés en Transylvanie à l’époque où elle était hongroise, avant de se voir déposséder de leur identité. » Même si, ajoute-t-elle, les incursions du parti de Viktor Orbán dans la politique interne des minorités hongroises à l’étranger peuvent s’avérer contre-productives. Comme lorsque, « pour étendre son pouvoir », il soutient « de petits partis hongrois en Transylvanie, contribuant ainsi à l’éclatement des voix de la communauté magyare, alors que l’unité est leur seul gage de représentativité afin de peser sur la scène politique roumaine ». « Mais quoi qu’il en soit, conclut-elle, la prochaine fois, tous les Hongrois de l’extérieur du pays, même les socialistes, voteront pour le parti au pouvoir en Hongrie pour le remercier. »

Verrouillage institutionnel, retour de l’ordre moral, décisions nationalistes… Pour de nombreux observateurs européens, l’affaire est entendue : la Hongrie est au bord du « fascisme ». Les milieux d’affaires regardent chuter le cours du forint en murmurant que les Hongrois l’ont bien mérité, la gauche crie au scandale sur les questions éthiques, la droite s’inquiète des règles de protectionnisme économique, la presse des atteintes à la liberté des médias, et la commission européenne des règles budgétaires.

Le 18 janvier dernier, à la tribune du Parlement européen, le député « vert » Daniel Cohn-Bendit se faisait le porte-parole grandiloquent des inquiétudes occidentales, face à un Viktor Orbán placide : « Vous allez dans la direction de messieurs Chávez, Castro, et de tous les gouvernements totalitaires de ce bas monde que nous combattons ensemble. » Et le leader «écologiste » de demander au Premier ministre hongrois – qu’il avait déjà accusé de « populisme », dans la même enceinte, quelques mois plus tôt: « Pourquoi les sans-abri en Hongrie ont peur, pourquoi des intellectuels ont peur, pourquoi des gens de ma famille et des gens que je connais, des Juifs en Hongrie ont peur aujourd’hui? » Et les instances européennes de s’interroger : Viktor Orbán serait il donc un « populiste », comme le martèle Cohn- Bendit? Voire un « fasciste postmoderne », comme le proclamait le philosophe italien Paolo Florès d’Arcais, en janvier, dans une tribune de Libération?

Une chose est sûre : un monde sépare le Premier ministre de 2012 du jeune activiste qui s’était fait connaître en 1989. Alors âgé de vingt-quatre ans, Viktor Orbán était une figure de proue de la contestation contre la tutelle soviétique. Il s’était, notamment, distingué par un discours enflammé lors des obsèques posthumes de l’ancien président de la République populaire de Hongrie, Imre Nagy, exécuté en 1958 pour activités « contre-révolutionnaires ».

Le parti cofondé par Orbán, le Fidesz, englobait alors un spectre allant du centre droit au centre gauche, et professait une ligne très pro-européenne. Du reste, l’année suivante, il quittait, avec les autres députés de sa formation, une séance du Parlement où il venait d’être élu. Motif: le président de la Chambre avait demandé une minute de silence à la mémoire des victimes du traité de Trianon, dont on célébrait le soixante-dixième anniversaire. Pour Orbán et ses amis, ce genre de démonstration nationaliste ne devait pas avoir sa place dans la nouvelle Hongrie, qui devait s’efforcer de respecter les frontières de ses voisins et futurs partenaires européens. Viktor Orbán devenait même bientôt vice-président de l’internationale libérale.

Prenant la tête de son parti, en 1993, il va alors évoluer vers des positions plus conservatrices, laissant l’aile gauche de sa formation rejoindre l’Alliance des démocrates libres, qui gouvernera bientôt avec le Parti socialiste – héritier de l’ancien parti unique – lors du retour de celui-ci au pouvoir, en 1994.

Désormais clairement positionné à droite, le Fidesz succède à la coalition socialiste à la tête du gouvernement, en 1998. Viktor Orbán devient Premier ministre, et mène une politique « conservatrice » – libérale classique : mesures fiscales en faveur de la classe moyenne, adhésion à l’Otan, réduction du déficit public, lutte contre l’inflation. Quittant l’internationale libérale, le Fidesz rejoint le Parti populaire européen (PPE) comme membre associé, en 2001. Et, en 2010, après huit nouvelles années d’opposition, c’est le retour triomphal aux affaires, avec la majorité absolue au Parlement.

Viktor Orbán se serait-il métamorphosé, entre 2002 et 2010, en « néo (ou post) fasciste », sans que ses amis du PPE – dont il est vice-président, et auquel l’UMP appartient – ne s’en soient rendus compte? Certainement pas. De libéral « conservateur » dans les années 1990, le Fidesz est simplement devenu conservateur… tout court. Notamment en prenant ses distances avec le libéralisme économique effréné des premières années qui ont suivi la chute du communisme, et en s’emparant de la question nationale. Cela a suffi à en faire, au pire, un paria, au mieux, un suspect, aux yeux de la « communauté internationale » – à commencer par les rouages de l’Union européenne.

Car ce que ses procureurs reprochent surtout à Orbán, c’est sa politique économique et monétaire. Ainsi que le soulignait Régis Soubrouillard, dans un article intitulé « Hongrie : les vraies raisons du bannissement d’Orbán », sur marianne2.fr : « Orbán a osé toucher au Graal européen: l’indépendance de la Banque centrale, l’inscription du forint comme “monnaie nationale” – ce qui nécessitera à la Hongrie une majorité des deux tiers du Parlement pour rejoindre l’euro –, la nationalisation des fonds de retraite privée. Des annonces de réformes qui lui ont valu une lettre de José Manuel Barroso le sommant de retirer son projet de loi. » Pour le journaliste : « L’Orbanistan fait d’autant plus frémir les eurocrates de Bruxelles qu’il est le produit des politiques successives menées en Hongrie, depuis des décennies sous la pression du FMI et de l’UE. Le symptôme du malaise européen.»

En 2003, la Hongrie décidait d’adhérer à l’Union européenne, à l’issue d’un référendum au cours duquel 83,67 % des votants s’étaient prononcés pour le « oui ». Un score triomphal aussitôt unanimement salué, mais qui dissimulait que seuls 45,6 % des électeurs s’étaient déplacés. De quoi relativiser les enthousiasmes... Du reste, selon l’euro-baromètre réalisé par la commission de Bruxelles en 2008, seuls 36 % des Hongrois considéraient, alors, qu’être membre de l’Union était pour leur pays une « bonne chose ». Il s’agissait du troisième plus faible pourcentage des Vingt- Sept, après la Lettonie et le Royaume-Uni. Les Hongrois semblaient, déjà, ne plus vouloir de cette Europe dont ils avaient tant rêvé, mais dont les modèles politiques et économiques s’étaient révélés vains pour eux.

Passée du « socialisme du goulasch », qui lui avait assuré la réputation de « baraque la plus gaie du camp socialiste », à la sempiternelle alternance européenne entre libéralisme et social-démocratie, la Hongrie n’y a pas gagné en puissance. Ayant quitté une place à part dans le bloc de l’est pour une place sans gloire au sein de l’Union européenne, elle cherche désormais sa voie en se recentrant sur ses préoccupations séculaires.

Ainsi des préoccupations démographiques, qui éclairent les règles éthiques inscrites dans la nouvelle Constitution. « On touche là à une obsession très hongroise : la crainte du déclin démographique. La famille traditionnelle est perçue comme la base du maintien de la nation », expliquait ainsi, le 3 janvier dernier, au Monde Paul Gradvohl, spécialiste des civilisations d’Europe centrale et maître de conférences à l’université Nancy-II. Une crainte aisément explicable pour un pays qui ne peut que constater la réalité de ce déclin chez ses partenaires, et qui, en outre, a perdu les deux tiers de son territoire, il y a moins d’un siècle.

Par ailleurs, en mobilisant les Hongrois autour de la question nationale, en accordant le droit de vote à des millions de membres des minorités magyares dans les régions frontalières des pays voisins, ou encore en changeant le nom officiel du pays, Viktor Orbán place la nation hongroise au-dessus, et au-delà, de l’Etat, à la recherche d’une grandeur perdue… Une quête vieille de mille ans.

Source : Le Spectacle du Monde

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